Les assurances sont des organisations de nature administrative avec les défauts de ces organisations. Autoritarisme mou en bas, politique en haut, l’environnement décourage les talents orientés vers l’innovation. Les assureurs restent dans leur zone de confort, se tournant plutôt vers des innovations incrémentales fondées sur les attentes des clients. Ils sont peu forces de proposition. Le problème principal est bien culturel.
Une réalité interne adverse à l’innovation pour l’expérience client
Une conséquence de la réalité sociologique des assurances est la difficulté à sortir une innovation réelle, en ligne avec l’analyse des contraintes exercées sur le client. Pour simplifier caricaturalement, comme dans toute structure de culture administrative, il y a deux types de relations sociales dans une compagnie.
L’autoritarisme administratif mou
Dans le silo, c’est le règne de ce que j’appellerais l’autoritarisme administratif mou. Les règles internes doivent être directement appliquées, les têtes qui dépassent ou s’expriment ne sont pas bien vues, les initiatives encore moins, sinon : « au village, sans prétention, j’ai mauvaise réputation… ». Le dialogue social est très limité.
Simultanément, si la qualité, la quantité de travail ou le respect des délais ne sont pas là, non seulement ce n’est pas sanctionné, mais cela n’est même pas exprimé. Il va de soi que l’inverse est vrai et qu’un travail de grande qualité d’un acteur n’appelle que du travail supplémentaire.
La communication extérieure du silo se résume à : tout le monde est compétent, impliqué et au taquet. Autant dire que l’attraction et la rétention des talents n’est pas chose simple dans cet environnement.
Le club des gens de bonnes compagnies
En haut des silos, c’est le règne de ce que j’appellerais le club des gens de bonnes compagnies. En dehors d’une éventuelle concurrence interpersonnelle ponctuelle, les sujets qui fâchent sont évités. Les champs de compétences sont soigneusement séparés entre collègues et il ne faut surtout pas mettre en cause et challenger directement ce que dit ou fait l’autre. Ceci est vrai en dehors des situations de crises où il s’agit alors de dégager sa responsabilité.
Le dirigeant talentueux dans cet environnement est celui qui aura réussi simultanément :
1 – à diluer la responsabilité en cas de problème, et donc à construire une alliance objective avec ses collègues pour imputer ledit problème à la fatalité,
2 – à mettre en place un dispositif lui permettant de retirer une part importante du bénéfice en cas de réussite.
Autrement dit, socialiser les pertes et privatiser les bénéfices.
Quels résultats en termes d’innovation ?
Si vous laissez les silos libres en haut et normés en bas, chacun va rester dans sa zone de confort pour les projets. Le résultat sera plus conforme aux logiques internes (culturelles, techniques, humaines) qu’au service externe. La somme ressemblera, vue de l’extérieur, à une usine à gaz très contraignante pour le client, mais confortable et bien adaptée à la culture et à la gestion interne. Si Steve Jobs avait laissé faire ses équipes, ils auraient produit des Nokia. Il a bien placé la barre très haut en termes de simplicité d’utilisation et de puissance.
A défaut de conviction et de vision forte à la tête de l’entreprise, la tentation est de considérer que l’innovation peut venir directement de la demande client. L’approche par le besoin client, alimentée par le marketing, n’est pas non plus très innovante. Ford disait que s’il avait demandé à ses clients ce qu’ils voudraient, ils auraient demandé des chevaux plus rapides.
Pensez-vous, si la question avait été posée aux clients en 1999, sur l’amélioration des librairies, qu’ils vous auraient décrit Amazon ? Dans la même veine, si aviez fait une étude de marché basée sur la question : « seriez-vous intéressé par un service de transport rapide consistant à vous enfermer dans une boite en métal étanche avec quelques centaines de personnes, à neuf cents kilomètres par heure, à douze kilomètres du sol, par moins soixante degré et que le moindre problème, technique, de malveillance ou psychologique du conducteur peut transformer en boule de feu ? », je ne suis pas sûr que le transport aérien se serait développé.
Vous remarquerez que cette vision sur la difficulté principale d’amélioration de l’expérience client ne repose pas sur le manque de technologie, ou de données sur le client, ou de compétences des équipes, ni et surtout, d’opposition massive au changement. Elle repose sur la culture d’entreprise sectorielle et la difficulté sectorielle concrète à gérer les conséquences sociales.